Le manuscrit Tyŏngni ŭigwe est une copie unique dont douze fascicules sont conservées à la BULAC (consultables sur la Bina), et un fascicule, entièrement composé d’illustrations, est conservé à la Bnf (consultable sur Gallica). Il s’agit d’une édition incomplète composée à l'origine de 48 fascicules. Les douze fascicules de la BULAC comprennent les tomes 29 à 36, 40 et 46 à 48. La BnF conserve pour sa part le tome 39.
Le terme ŭigwe (儀軌) désigne les documents officiels sur les événements royaux organisés à la cour sous la dynastie Chosŏn (1392-1910) et signifie littéralement « le modèle (軌範 gwebŏm) du rite (儀禮 ŭirye) »[1]. Après chaque événement royal, un ŭigwe était compilé pour consigner de manière détaillée l’organisation, le déroulement, ainsi que le coût et l'ampleur de l'événement. Ces ouvrages permettaient de garder une trace des rites et cérémonies de la cour, à laquelle on pouvait se référer à chaque occasion importante, tels que mariages, fêtes d'anniversaire et funérailles d’un membre de la famille royale, lors de la la construction et de la réparation de tombes et bâtiments royaux, ou encore à l’occasion de l’édition d’ouvrages par l’imprimerie royale.
Le Tyŏngni ŭigwe fut probablement copié entre le 27 septembre 1797, date à laquelle le roi Chŏngjo (r. 1776-1800) ordonna sa réalisation, et 1800, année de sa mort[2]. Il décrit en détail diverses cérémonies royales qui eurent lieu dans la ville de Hwasŏng[3](aujourd’hui Suwon) sous le règne de Chŏngjo. Il est plus connu sous le titre Chŏngni ŭigwe, tiré du nom du bureau provisoire (Chŏngniso) établi sur ordre royal pour organiser ses voyages et les événements qui devaient se tenir lors de ses séjours à Hwasŏng. Tyŏngni 뎡니 est l’ancienne orthographe de Chŏngni 정리.
Bien que l’ouvrage soit incomplet, il semble qu’il ait compris deux parties : les voyages du roi à Hwasŏng et la construction de la forteresse Hwasŏng. Entre l'achèvement en 1789, à Hwasŏng, du tombeau du prince Sado - Hyŏllyungwŏn - et la mort de Chongjo en 1800, ce dernier y effectua 13 processions ou pèlerinages[4]. Les volumes 29 à 36 décrivent les séjours effectués entre 1796 et 1797 ainsi que les fêtes organisées à l’occasion de l’anniversaire de la mère du roi. Les volumes 40, 46, 47 et 48 portent sur les travaux de la forteresse de Hwasŏng, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Le contenu du Tyŏngni ŭigwe se rapproche ainsi de deux autres ŭigwe en caractères hanja[5], également conservés par la BULAC : le Wŏnhaeng ŭlmyo chŏngni ŭigwe (園幸乙卯整理儀軌) et le Hwasŏng sŏngyŏg ŭigwe (華城城役儀軌), respectivement imprimés en 1797 et 1801[6]. Le Wŏnhaeng ŭlmyo chŏngni ŭigwe présente un voyage effectué à Hwasŏng en 1795 par le roi et sa mère, Dame Hyegyŏng, pour fêter le soixantième anniversaire de cette dernière et se rendre à Hyŏllyungwŏn. Il est fort possible que ce voyage ait été également rapporté au sein des 28 premiers volumes manquants du Tyŏngni ŭigwe. Le Hwasŏng sŏngyŏg ŭigwe consigne quant à lui le processus de la construction de la forteresse de Hwasŏng entre janvier 1794 et septembre 1796, qui correspond à la seconde partie du Tyŏngni ŭigwe. Notons que le Wŏnhaeng ŭlmyo chŏngni ŭigwe et le Hwasŏng sŏngyŏg ŭigwe sont les premiers ŭigwe imprimés avec des caractères mobiles, ce dans le but de promouvoir les événements officiels et d’affermir le pouvoir royal. Auparavant, les ŭigwe étaient tous manuscrits et copiés à 5 à 9 exemplaires, tandis que Chŏngjo ordonna de tirer le Wŏnhaeng ŭlmyo chŏngni ŭigwe à 130 exemplaires, et le Hwasŏng sŏngyŏg ŭigwe à 154 exemplaires[7].
Le Tyŏngni ŭigwe est un document extraordinaire à plus d’un titre. D’une part, il fut écrit en hangeul à l’intention de Dame Hyégyŏng sur ordre du roi[8]. Cette démarche montre la piété filiale de Chŏngjo envers sa mère et fait toute la particularité de ce document. Expressément rédigé pour dame Hyegyŏng, certaines parties sont décrites avec davantage de détails que dans les deux autres ouvrages, à portée plus administrative ; il présente par ailleurs des informations supplémentaires sur les événements royaux et la construction de la forteresse. D’autre part, Il s’agit du plus ancien ŭigwe rédigé en hangeul qui subsiste aujourd’hui. Bien que depuis le XVe siècle la Corée dispose de son propre alphabet, le hangeul, le livre coréen a longtemps maintenu l’usage des caractères chinois, hanja. Si certains lettrés écrivaient en hangeul[9], à la fin de la dynastie Chosŏn ce sont les femmes de la classe noble qui en font l’usage le plus courant, en particulier les membres de la famille royale[10]. Sachant que les caractères chinois n’indiquent pas le phonème, au contraire du hangeul dont chaque symbole représente un phonème, le Tyŏngni ŭigwe nous permet de savoir comment certains mots étaient prononcés à l'époque.
L’ouvrage est fabriqué en papier de mûrier de haute qualité, avec une reliure cousue de fil rouge au travers de cinq trous. Sur la couverture à motif de treillis, le titre est tracé en caractères hanja, en haut à gauche. Sur les fascicules qui présentent les rites et les banquets organisés à Hwasŏng, l’année est consignée sur la partie droite de la couverture, selon le cycle sexagésimal chinois. Les volumes 29 à 33, portent l’année 1796, « 丙辰 Pyŏngjin », tandis que les volumes 34 à 36, portent l’année 1797 « 丁巳 Chŏngsa ». À la place de la date, les volumes 40 et 46 à 48 qui décrivent la construction de la forteresse de Hwasŏng portent le mot « 城役 Sŏngyŏk » qui signifie construction. Tous les fascicules indiquent en bas à droite de la couverture, entre la couture, « 共四十八 pyŏng sasipal » ce qui signifie 48 pièces et confirme l’existence à l’origine de 48 fascicules. Le texte est écrit entièrement en hangeul dans le style semi-cursif de l’écriture kungche utilisée à la cour. Comme il s’agit d’un style semi-cursif, certains traits ne sont pas liés les uns aux autres, l’axe central du trait se porte légèrement sur la droite, le trait vertical est long et le tracé offre un beau jeu plein et délié. Le livre présente au moins quatre variantes de ce style, ce qui laisse supposer la contribution d’au moins quatre copistes distincts.
Les fascicules du Tyŏngni ŭigwe conservés à la BULAC ont rejoint les collections de l’École des langues orientales vivantes par l’intermédiaire de Victor Collin de Plancy (1853–1924), mais ils ne proviennent pas de sa collection personnelle. De fait, ils ne portent pas l'ex-libris de Collin de Plancy, contrairement au fascicule conservé par la BnF. Par ailleurs, Maurice Courant explique dans son Supplément à la “Bibliographie coréenne", jusqu'en 1899 qu’il appartient aux collections qui ont été présentées dans le pavillon de la Corée lors de l’Exposition universelle de 1900. Il semble que la commission coréenne ait présenté ce livre au pavillon coréen, puis en ait fait don à la bibliothèque par l’intermédiaire de Collin de Plancy.
En 2018, le musée de la ville de Suwon a entrepris la numérisation des fascicules conservés à la BULAC afin d’en produire un fac-similé présenté lors de l’exposition organisée en octobre de la même année sous le titre Temporary Palace at Hwaseong Haenggung in Suwon (수원의 궁궐 화성행궁).
- ^ The Korean Studies Institute. Memory of the World in Korea, Andong : The Korean Studies Institute, 2018, p. 107.
- ^ Chŏnjo ordonna la copie de l’ŭigwe le 24 septembre 1797. La compilation de l’ouvrage semble avoir été faite relativement rapidement. Le journal du secrétariat royal daté du 26 octobre 1797 mentionne une conversation du roi avec des agents sur l’avant-propos. Il y est indiqué que le Tyŏngni ŭigwe est compilé en un seul livre, donc la copie a dû être réalisée autour de cette période.
- ^ La forteresse de Hwasŏng était le plus grand château provincial de la dynastie Chŏson. En 1789 lorsque Chŏngjo décida d’aménager à Suwon le tombeau du prince Sado jusqu’ici situé à Yangju, il en profita pour faire aménager la ville. De nouveaux bâtiments royaux furent établis et le roi renomma la ville Hwasŏng. En 1793, Il promut la ville de Suwon au rang de ville administrative (Hwasŏng Yusubu 華城留守府).
- ^ Jung, Jungnam. «Les images de Château-fort Hwaseong dans Jeongni-uigwe », in Temporary Palace at Hwaseong Haenggung in Suwon, Suwon : Suwon Hwaseong Museum, 2018, p. 274
- ^ Caractères chinois
- ^ Wŏnhaeng ŭlmyo chŏngni ŭigwe : COR.I.130
Hwasŏng sŏngyŏg ŭigwe : COR.I.273 et COR.I.333 (incomplet) - ^ Ok, Young Jung. « A Comparative Study between Hwasung Castle Construction Manual and Dungny Manual », in Chindanhakpo, no.127, 2016, p. 168.
- ^ http://sjw.history.go.kr/id/SJW-G21090240-02200
- ^ Kim, Inhoi. « The Usage of Hangeul and Its Meaning of Noblemen in Joseon Dynasty », in The Academy of Korean Studies, vol.35, no.4, 2012, pp. 35-54.
- ^ Yi, Seunghee. « A study on the royal women’s writing in late Joseon dynasty », in Hanguk munhwa, no.61, 2013, pp. 302.