Billet écrit par , à l'occasion de l’exposition « À la recherche des manuscrits naxi », exposition de manuscrits et de photographies sur la culture dongba (Chine, Yunnan) visible du 26 octobre au 17 novembre 2015 à la BULAC et dans la galerie du Pôle des langues et civilisations · PUBLIÉ  · MIS À JOUR 

La BULAC conserve 22 manuscrits naxi issus des collections de l’ancienne bibliothèque de l’École des langues orientales vivantes, ancêtre de l’Institut national des langues et civilisations orientales. Jusqu’à récemment, ces petits cahiers rectangulaires de fabrique artisanale et couverts de mystérieux caractères dormaient paisiblement sur les étagères des magasins de la Réserve. Nous ne disposions que d’informations éparses sur leur provenance, et leur contenu nous restait résolument hermétique. Nous savions simplement qu’ils relevaient de deux systèmes d’écriture distincts, les scripts « geba 哥巴 » et « dongba », développés au fil des siècles par les Dongba.

Le « geba » est un système d’écriture syllabique composé de plusieurs centaines de caractères doublement influencés par les syllabaires yi et les caractères chinois. Son usage est purement phonétique et sert à annoter les textes pictographiques et, plus souvent, à transcrire des formules magiques dont le sens a été perdu. Il est mal connu et peu de textes sont parvenus jusqu’à nous.

BULAC ms.chi.naxi 2, fol. 3v. Caractères geba annotés en chinois

Bien plus répandu et désormais célébre, le script « dongba » 东巴象形文字 repose sur la combinaison de pictogrammes et de phonogrammes. Ce n’est pas à proprement parler une écriture, permettant de transcrire des phrases construites, mais une sorte de code, employé pour noter les éléments clés des rituels et mythes naxi. Certes, ceux-ci étaient soigneusement mémorisés par les Dongba au cours de longues années d’apprentissage, mais le recours aux textes pictographiques se justifie par le nombre de cérémonies rituelles (plus de 130) et de sous-rites (plus d’un millier) qui composent l’appareil rituel naxi. Ils servaient donc d’aide-mémoire, afin de garantir la précision du rituel et l’exactitude des incantations.

BULAC ms.chi.naxi 6, fol. 4r. Pictogrammes dongba

Malheureusement pour nous, sans le savoir transmis de maître à disciple au sein des lignées Dongba, il est presque impossible de déchiffrer ces textes. Aussi lorsqu’en avril 2013 l’Association chinoise des arts et de la culture dongba[1] (ADCA) contacta la BULAC pour obtenir leur reproduction en vue de les traduire, il n’y eut pas à hésiter. Mme Zhang Xu 张旭, présidente de l’ADCA, nous apprit qu’en dépit des aléas de l’histoire et de la modernisation fulgurante de la Chine, quelques communautés naxi avaient conservé leurs traditions ancestrales, et qu’il demeurait une poignée de prêtres, fort âgés, capables d’interpréter ces manuscrits. Il fallait donc au plus vite les numériser, afin qu’ils puissent les transcrire avant de quitter cette terre. Aujourd’hui plus de 20 000 exemplaires sont conservés à travers le monde, mais il s’agit pour beaucoup de doublons. Le canon littéraire dongba se compose en effet de 1000 à 2000 textes qui, si l’on parvient à les réunir, constituent une véritable encyclopédie pour l’étude de la culture traditionnelle naxi.

Cette collaboration fut l’occasion, pour les Dongba, de retrouver des textes aujourd’hui disparus de Chine, tout en nous permettant d’en apprendre davantage sur le contenu de ces manuscrits. 

L’expression « culture dongba » désigne l’ensemble des croyances, savoirs, rituels, arts et coutumes qui structurent la société traditionnelle naxi. Elle fait référence aux Dongba 东巴 (« dto-mba » signifie « sage » en naxi), figure centrale de la religion naxi[2] et gardiens du patrimoine textuel, rituel et pictural, qui fait aujourd’hui la célébrité de ce peuple[3].

Notes

  1. ^ Beijing Dongba wenhua yishu fazhan cujin hui 北京东巴文化艺术发展促进会.
  2. ^ En français ou en anglais, les Dongba sont souvent qualifiés de « prêtres », « chamanes » ou « prêtres chamanes ». Mais il ne s’agit pas à proprement parler de prêtres, car la religion dongba n’a pas d’église formelle, composée de prêtres, de moines ou de temples. Ce ne sont pas non plus véritablement des chamanes, mais davantage des « spécialistes des rituels ». À l’origine, il existait deux sortes de spécialistes religieux : les chamanes, nommés « llubhu », et les Dongba.  Les « llubhu » étaient chargés d’entrer en transe afin de communiquer avec les esprits de la nature et des ancêtres. Une fois la volonté des esprits connus, le Dongba était chargé de conduire les rituels attendus, à l’aide de ses livres. Le rôle des « llubhu » a toujours été moins important que celui des Dongba, et ils semblent avoir aujourd’hui disparu, certains Dongba jouant parfois le double rôle de chamane et de spécialiste rituel.
  3. ^ Sur les notions de « culture naxi » et de « culture dongba », voir l’intéressante introduction d’Emmanuelle Laurent dans son mémoire « La culture naxi entre tradition et modernité », soutenu en septembre 2015, pp. 11-16